1-Monsieur le Premier ministre, la Guinée entre dans une phase cruciale de son histoire politique. À l’approche de l’élection présidentielle, les signes d’une continuité du pouvoir sous couvert de transition se multiplient. Vous, qui aviez incarné la voix de la démocratie, êtes aujourd’hui perçu comme l’un des promoteurs de cette continuité. Le peuple, témoin de cette contradiction, s’interroge : comment celui qui prônait hier l’alternance peut-il aujourd’hui justifier la prolongation d’un pouvoir transitoire ?
2-Vous avez autrefois dénoncé les régimes qui confisquaient le pouvoir. Vous avez défendu l’idée d’un État impartial, respectueux des institutions et de la souveraineté du peuple. Aujourd’hui, votre silence et votre posture face à la candidature du président de la transition donnent le sentiment d’une approbation tacite. L’histoire retiendra que vous avez été placé à un moment clé où votre parole pouvait tout changer.
3-Les mouvements de soutien à la candidature du général Mamadi Doumbouya prolifèrent à travers le pays, souvent encouragés ou tolérés par les structures administratives. Ces campagnes, orchestrées avec des moyens publics, détournent l’esprit même de la transition. Vous savez, Monsieur le Premier ministre, qu’un gouvernement de transition ne peut servir une ambition personnelle sans trahir sa mission première : préparer un retour à l’ordre constitutionnel.
4-Vous avez toujours plaidé pour la démocratie et l’État de droit. Or, ces deux principes exigent la neutralité des institutions. En prônant la continuité, vous affaiblissez la confiance du peuple dans la sincérité du processus électoral. Vous devez incarner l’équilibre, pas la complaisance. Le peuple attend de vous une position claire : ou vous restez fidèle à vos valeurs, ou vous devenez complice d’un glissement autoritaire.
5-Les acteurs politiques traditionnels sont aujourd’hui écartés, réduits au silence ou présentés comme des obstacles au progrès. Pourtant, aucun dialogue national crédible ne peut se faire sans eux. Vous le savez : la démocratie se nourrit du pluralisme, pas de l’unanimisme imposé. L’exclusion et la peur ne bâtissent pas une nation, elles la divisent.
6-La justice guinéenne reste instrumentalisée. Tant que certains seront jugés pour leurs opinions pendant que d’autres bénéficieront d’une immunité politique, aucune élection ne pourra être qualifiée de libre et transparente. Vous, qui avez toujours exigé une justice équitable, ne laissez pas cet outil sacré devenir une arme au service d’intérêts partisans.
7-Le peuple guinéen est lassé. Lassé des transitions sans fin, des promesses recyclées, des dirigeants qui changent de discours dès qu’ils approchent le pouvoir. Il réclame des actes clairs : un calendrier électoral crédible, une administration neutre, une justice indépendante et une presse libre. Voilà les fondements d’une transition réussie, pas la reconduction du même système sous un autre visage.
8-Monsieur le Premier ministre, l’Histoire vous observe. Vous pouvez être celui qui aura osé dire non à la dérive, ou celui qui aura cautionné l’injustice par prudence politique. La continuité du pouvoir ne doit pas se faire au détriment de la liberté. Votre rôle n’est pas de plaire au chef, mais de servir le peuple et de protéger la République.
9-Ma vérité est simple : vous ne pouvez pas défendre la démocratie en parole et promouvoir la continuité en acte. La Guinée a besoin de courage, pas de calculs. De vérité, pas de stratégie. De patriotisme sincère, pas de loyauté aveugle.
Mohamed Lamine Touré
